Les crêtes vosgiennes

Entre chaumes et cirques glaciaires, comprendre les formations paysagères

Dans l’imaginaire collectif français, le massif des Vosges ne se résume souvent qu’à un massif lointain, des montagnes à vaches où domine le sapin ou bien encore une ligne bleue indissociable d’une sombre période de l’Histoire de France.

Toute montagne a son histoire, le massif vosgien a la sienne. La rudesse de son climat façonne les chaumes tandis que ses nombreux lacs, tourbières et vallées sont les stigmates d’une ancienne période glaciaire dont on retrouve aujourd’hui les traces un peu partout. Le climat et le temps qui passe influencent donc les paysages, et c’est ce que nous allons vous expliquer ici !

Le Hohneck et le cirque glaciaire du Frankental depuis les Rochers de la Martinswand (1273 m), avril 2015

Les traces d’une glaciation passée sont encore largement visibles dans le massif vosgien. En effet, il y a environ 10 000 ans s’achevait la dernière période glaciaire, débutée il y a 100 000 ans avec la période du Würm. Toutes les vallées des Hautes-Vosges étaient ainsi occupées par des glaciers qui s’étendaient généralement jusqu’à la confluence actuelle des vallées de la Moselotte et de la Moselle, à Remiremont. Aujourd’hui, le passage de ces glaciers est encore visible par la présence de cirques glaciaires dont les plus connus sont certainement ceux du Frankental, du Wormspel, Wormsawald et celui d’Ammelthal dans le massif du Hohneck.

Du fait du climat, frais et humide en altitude et avec un vent à dominance ouest, les cirques glaciaires sont de remarquables espaces pour l’accumulation de la neige en hiver. Les chaumes, qui sont des espaces relativement plats – un aplanissement sommital typique des moyennes montagnes – fait que la neige y est souvent balayée en raison d’un vent qui souffle fréquemment en tempête l’hiver (25 jours par an, en moyenne, à plus de 100 km/h au Ballon de Servance par exemple).

Corniches surplombant les couloirs à avalanche du Frankental, février 2015, photo Vosges Tourisme

La neige se loge de ce fait au niveau des couloirs à avalanches pour former des corniches remarquables lors d’hiver très neigeux. Certaines peuvent atteindre parfois plus de 10 mètres et prendre des teintes bleutées au centre suite au phénomène de gel/dégel – c’était particulièrement le cas durant l’hiver 2005/2006, un hiver record dans les Vosges en terme d’enneigement (3, 15 mètres mesurés au Ballon d’Alsace en mars 2006). Nous avons d’ailleurs consacré un article dédié à cet enneigement record, à découvrir ici.

Corniches et névés, quelles différences ?

Il ne faut pas confondre corniches, et névés qui sont deux formes d’accumulation de neige bien différentes.

Les névés sont des zones d’accumulation en surface plane, au pied d’une parroie rocheuse par exemple ou par gravité, dans un couloir à avalanches. La corniche est au contraire une accumulation où l’une partie est dans le vide (voir photo au-dessus) et où des décrochements sont fréquemment observés, notamment en période de redoux ou de fonte, entraînant ainsi des blocs dans la pente et pouvant détruire la végétation et, malheureusement, causer des pertes humaines, même si elles restent rares dans les Vosges. Du fait d’une exposition non directe aux radiations solaires, ce sont les névés qui persistent le plus longtemps au printemps, parfois jusqu’à la mi-juillet pour les années remarquables.

En raison de la déprise agricole et donc de l’abandon de certaines chaumes, la végétation reprend petit à petit possession des lieux. S’il ne s’agit que de landes ou d’espèces pionnières, alors une avalanche peut détruire la végétation. En revanche, si la reconquête de ces espaces en est déjà au stade de forêt, alors les avalanches seront moins nombreuses, les arbres étant des éléments protecteurs.

Une végétation contrainte par des conditions climatiques difficiles

Les conditions climatiques sur les chaumes sont en effet extrêmes avec de la neige parfois durant un semestre, régulièrement plus de 2000 mm de précipitations dans certaines localités et une température moyenne qui n’excède pas les 10 °C au Hohneck (1363 m) pour le mois le plus chaud de l’année. A cela s’ajoute un vent qui est rarement nul et souvent très sensible en hiver et un brouillard, présent un jour sur deux. Du fait de ces conditions extrêmes, l’arbre ne grandit pas comme il le souhaite mais doit se soumettre à des contraintes, notamment en raison du vent et de la neige, en témoigne ces deux exemples ci-dessous.

Gazon du Faing, octobre 2022

En raison des vents dominants orientés à l’ouest (et toutes ses variantes), les conifères présentent des dissymétries qui en font leur particularité. Ils ne présentent pas de branches sur le côté au vent, on les appelle ainsi des arbres avec un port en drapeau. On notera la présence du brouillard, avec une visibilité fortement réduite, un temps assez fréquent sur les crêtes vosgiennes.

Col de Falimont, avril 2015

La hêtraie d’altitude se présente sous cette forme au-delà 1000 mètres d’altitude avec des espèces qui dépassent rarement les 10 mètres, même quand les arbres sont adultes. Ils évoluent dans un univers difficile, poussent dans le sens du vent et sont souvent tordus. Certaines espèces sont même rampantes, pour se cacher sous la neige et mieux passer l’hiver

Des aléas climatiques qualifiés d’exceptionnels peuvent parfois complètement modifier le paysage des forêts vosgiennes ; ce fût le cas évidemment en 1999 où les vent ont très probablement excédé les 200 km/h sur les crêtes vosgiennes, venant décimer une partie de la forêt – cette dernière valant d’ailleurs au département vosgien une place sur le podium des départements les plus boisés de France. Aujourd’hui, les stigmates de cette tempête sont encore visibles.

Plus récemment, le 13 mai 2015 une tornade d’intensité EF2 (vents localement supérieurs à 200km/h) a, entre autre, ravagé le Défilé de Straiture ; cette petite vallée glaciaire qui est un emblème du massif vosgien est aujourd’hui méconnaissable et les plus grands et plus beaux épicéas d’Europe sont aujourd’hui à terre. Il faudra attendre une dizaine de générations pour en revoir des semblables à leur place.

L’image ci-jointe est tirée d’une étude très complète sur cette tornade qui a parcouru plus de 16 km à travers le massif vosgien. Environ 40 000 mètres cube de bois ont été retrouvés au sol après cette tornade dont une grande partie est inexploitable en raison des vents tourbillonnants qui ont explosé la plupart des arbres. L’ensemble de notre étude est à retrouver ici-même.

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